Rencontre avec Léonore Confino, dramaturge
Les lundi et mardi 10 et 11 février, la solaire Léonore Confino, dramaturge et autrice de douze pièces de théâtre, nommée cinq fois aux Molière, est venue au lycée de Haute Auvergne rencontrer les élèves de 1ere générale et technologique et échanger autour de deux de ses pièces : Le village des sourds et L’effet miroir.
La séance s’est ouverte par le traditionnel échange de questions réponses auxquelles elle a répondu avec humour, bienveillance et enthousiasme.
Née dans le Gard, Léonore Confino a vécu seule à partir de ses 14 ans puis après un bac L, a suivi des études de cinéma et de théâtre pour devenir comédienne “J’adorais le théâtre. Depuis petite, je voulais devenir actrice ou comédienne. À 16 ans j’ai découvert que j’avais un trac paralysant sur scène, alors que j’aimais tout cet univers.” Lui vient alors l’idée d’écrire pour être jouée, influencée par des auteurs tels que Joël Pommerat ou Wajdi Mouawad.
Elle met en œuvre des histoires basées sur son propre vécu, aime rire de nos petits défauts, raconter à quel point parfois nos comportements peuvent être absurdes, et espère alors provoquer un désir de changement. En vendant des objets contre des mots, le marchand du village des sourds, satire de notre société de consommation, cherche à réduire la liberté de pensée des villageois en appauvrissant le langage. L’îlot central de la pièce devient une métaphore des lieux de paroles et d’esprit critique que sont les théâtres, les CDI et bien sûr l’école !
Quant au miroir de la pièce L’effet miroir, il est une sorte de pacte magique où soudain l’écriture délivre des vérités, renvoie aux personnages leurs névroses, leurs manques et leurs désirs. Chaque personnage se cherche à travers les crustacés du petit conte de Théophile qui pourtant, voulait rester libre en écrivant sans stratégie commerciale et laisser son inconscient le guider !
Les élèves se sont montrés intéressés par le parcours et les idées de Léonore Confino, et chacun a été charmé par sa douceur et son énergie.
Ils se sont également emparés du texte et ont écrit de nouvelles scènes où certains personnages (la belle-mère, les jumelles) se sont à leur tour reconnus dans un des crustacés du conte de Théophile. Les élèves de l’option théâtre ont aussi joué une réécriture de L’effet miroir d’une durée de 15 minutes.
Un nouvel effet miroir
Dans L’effet miroir, en une seule soirée, Théophile apprend que sa femme l’a trompé, que sa belle-sœur est secrètement amoureuse de lui et qu’il a été adopté ! Ces révélations successives lui sont faites par erreur par ses proches, parce qu’ils croient se reconnaître dans les animaux et les aventures du conte aquatique que Théo est en train d’écrire.
Les élèves de 1ère1 se sont amusés à inventer de nouvelles scènes, en faisant intervenir un nouveau personnage qui, lui aussi, s’identifie à ce petit conte. Voici donc quelques propositions inédites, et même parfois renversantes, qui donnent voix aux parents d’Irène… à Samuel… aux jumelles… au père de Théophile et William (appelons-le Paul) et même à Brouillon, ce pauvre hamster – oh pardon, cochon d’Inde !
Le double effet miroir du père de William
Anna-Lou, Solène, Emma et Carla
Coup de sonnette à la porte. Théophile va ouvrir.
THEOPHILE. Qu’est-ce que tu fais là, Papa ? Enfin… (raclement de gorge) Entre.
PAUL. Ecoute, fils, je ne voulais pas que tu l’apprennes comme ça. Je viens faire la paix avec toi. Tu comprends, j’ai cru que tu étais au courant, vu que tu en a parlé dans ton conte.
THEOPHILE. Mais pourquoi tout le monde s’est identifié à mes personnages, PUTAIN DE MERDE !
PAUL (s’approchant pour le prendre dans ses bras). Enfin, fiston, calme-toi.
THEOPHILE (le repoussant violemment). Laisse-moi tranquille ! Comment oses-tu m’approcher ?
PAUL (d’une voix tremblante). Mais je pensais vraiment que tu parlais de moi dans ton conte, avec ce… ce… ce poulpe stérile. Je n’ai jamais pu avoir d’enfant, c’est pour ça que nous avons décidé de vous adopter…
WILLIAM (se lève brusquement de sa chaise). Pa-pardon ?
BROUILLON. Hiiiiiiiiii…
IRENE. Non ! Mon Brouillon chéri ! Enlève ton pied, William !
WILLIAM. Comment ça, Papa, VOUS adopter ?
PAUL (très gêné). Hé bien… comment dire… je suis vraiment stérile, William. Toi aussi, on t’a adopté.
WILLIAM (s’écroule en sanglots). Je me sens pas bien du tout.
Effet miroir pour les jumelles
Louane et Lina
A la fin du repas, alors qu’Irène commence à débarrasser, les jumelles arrivent dans le salon avec des feuilles entre les mains.
IRENE. Oh zut, la tisane au Nausicalm n’a pas fonctionné…
MAYA ET TIYA (en chœur). La tisane à quoi ?
IRENE. Rien, rien, c’est juste une expression… qu’est-ce que vous nous amenez là ?
TIYA. C’est l’histoire à Papa.
MAYA. Avec Tiya, on a lu les feuilles et l’huître elle est comme nous, il y a deux perles dedans !
THEOPHILE. Ah mais ce n’est pas vous, mes chéries.
MAYA ET TIYA (en chœur). Mais si, vous nous appelez toujours vos petites perles !
IRENE. Oui, bien sûr, vous êtes nos petites perles… Théo, enfin, dis quelque chose !
THEOPHILE. Mais oui, mais oui…
WILLIAM. Bon, nous on va vous laisser, hein, on va rentrer.
William et Jeanne se lèvent pour embrasser les fillettes.
WILLIAM. Bin, Maya, ce n’est pas du tout une feuille du conte de ton papa, ça ?
MAYA. Non, c’est un papier de Samuel, je crois.
Théophile lui prend la feuille.
THEOPHILE. De Samuel ? Comment ça ? (Il lit) Alors, celle-là, je m’y attendais vraiment pas ! J’espère que c’est une blague ! Un test de paternité, vraiment ?
IRENE (gênée). Bin, il fallait que je sache…
THEOPHILE. Samuel… c’est Samuel le père !
WILLIAM (d’un ton ironique). Cette soirée est décidément pleine de surprises !
Effet miroir de Samuel
Paula, Eulalie et Justine
THEOPHILE. C’est quand même pas Samuel ?
IRENE. Dieu merci, il a trouvé.
THEOPHILE. Oh, quelle salope, MON éditeur !
IRENE. Tu me traites encore une fois de salope, je te démonte. Samuel a été le seul. Alors que ta sirène, elle…
Sonnerie de portable. Théophile sort son téléphone de sa poche, jette un coup d’œil au numéro qui s’affiche.
THEOPHILE. Tiens, après la salope, le salaud.
Irène le regarde en bouillonnant de colère.
SAMUEL. Théo ? Salut, c’est Sam. Bon, depuis quand tu sais, pour notre relation, avec Irène ?
THEOPHILE (énervé). Eh bien, figure-toi que je viens juste de l’apprendre.
SAMUEL. Pourtant, dans ton conte…
THEOPHILE. Quoi ? Encore ce conte ?
SAMUEL. Bah… l’étoile de mer… c’est évident que c’est moi, non ?
THEOPHILE. Mais pas du tout, qu’est-ce qu’il y a avec mon étoile de mer ?
SAMUEL (Il lit). « La sirène, s’étant ennuyée pendant de longues années auprès du bigorneau, a trouvé du réconfort avec l’étoile de mer. Un jour celle-ci, pourtant fermement accrochée, a été arrachée de leur rocher » (Il se met à pleurer). Je me suis fait jeter comme un déchet, oui !
THEOPHILE. Je vais crever, là…
Effet miroir de la belle-mère
Emma B. et Maréva
La mère d’Irène fait irruption dans l’appartement.
SEVERINE. THEOPHILE ! THEOPHILE !
THEOPHILE. Oui, Séverine, que faites-vous là ? Nous vous avons invités demain soir, pas aujourd’hui. Vous vous êtes trompés de jour ? Une urgence ? Tout va bien ?
SEVERINE (s’avance vers Théophile, menaçante). Je… je… je suis une BALEINE ! Une BALEINE, sérieusement ? Vous pensez donc que votre belle-mère est une BALEINE !
THEOPHILE. De quoi parlez-vous ?
SEVERINE. Oui, oui, ne faites pas l’innocent. Irène vient de m’envoyer votre nouveau chef d’œuvre par mail.
IRENE (chuchotant vers Théophile). Oups, désolée !
THEOPHILE. A tes parents ? Vraiment ? Tu sais très bien que ta maman chérie n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir !
SEVERINE. Et vous en rajoutez ! Ah bravo ! En plus d’être grosse, je suis bête !
THEOPHILE. Mais je ne vous ai jamais comparée à une baleine, Séverine. Que racontez-vous ?
SEVERINE. Ah bon ? Alors quand vous écrivez : « une vieille baleine, échouée sur la plage »… et que vous ajoutez qu’elle casse les oreilles au bigorneau avec, je cite « ses cris stridents, monotones et agaçants »… qu’est-ce que je suis censée comprendre ?
THEOPHILE. Mais vous êtes folle ! Vous pensez vraiment être une source d’inspiration pour moi ?
SEVERINE. Je… je… je… je suis outrée de votre comportement !
THEOPHILE. De mon comportement ? C’est vous qui faites irruption dans mon appartement et vous osez me parler de comportement ? Vous savez quoi, belle-maman chérie ? CASSEZ-VOUS ! Sortez de chez moi !